Les spécialistes de l’Intelligence économique (IE) sont confrontés à une difficulté majeure : « Comment évaluer la pertinence et la crédibilité d’une source ? ». En effet, il convient d’adopter systématiquement un recul critique sur toute information recueillie. Cette posture s’impose lorsque l’on travaille sur Internet, car le meilleur côtoie le pire… D’un côté, on trouvera le point de vue scientifique de l’expert ou l’étude de marché réalisée dans les règles de l’art. De l’autre, l’opinion du quidam, la rumeur (Hoax) et le mauvais exposé du mauvais étudiant…
Par rapport à l’évaluation des sources, on pourra commencer par analyser les qualités intrinsèques du document recueilli. Des éléments comme la date, l’auteur ou l’organisation peuvent fournir de précieuses indications.
On peut ensuite utiliser une échelle issue du renseignement consistant à « coter » la source et à évaluer l’information. La source qui délivre l’information est-elle a priori : fiable (A), sérieuse (B), assez fiable (C), pas toujours fiable (D) ? L’information recueillie est-elle : sûre (1), probable (2), vraisemblable (3), douteuse (4) ? En croisant ces deux indicateurs, on peut ainsi discriminer et dissocier les informations. Par exemple, le point de vue de l’expert sera noté (A,1) car la source est fiable et l’information plutôt sûre.
Pour autant, quelle que soit la méthode, il existe deux limites. Premièrement, on peut toujours passer « à côté » d’une information capitale et ne pas voir un « signal faible » annonciateur de bouleversements stratégiques. Deuxièmement, on peut accorder une importance excessive à une information fausse et se laisser « intoxiquer »… Voilà qui doit inviter les spécialistes de l’IE à toujours faire preuve d’humilité.
Article paru dans « Les clés de l’Intelligence économique »,
APS, vendredi 24 juillet 2009
A propos de la grille de cotation du renseignement.
Cette grille, effectivement issue du renseignement, a été conçue à l’origine pour tenter d’indiquer le degré de confiance que l’on peut accorder à un renseignement provenant d’une source qu’il convient de protéger en ne la nommant pas. Dans le cadre d’une recherche ouverte d’information sur internet, elle n’a guère de sens.
Elle est en plus peu efficace, car fondée sur une utopie qui consiste à croire qu’une valeur aussi floue, fluctuante et complexe que l’information est « cotable ».
Elle est également peu utile car pas très cohérente : si l’information fournie par une source « fiable » est « douteuse », c’est qu’il est urgent de déclasser la source en « peu sûre ».
Elle est enfin dangereuse, car elle dévalorise une information dite « improbable », alors que l’on sait bien que toutes les grandes surprises stratégiques de l’histoire (càd les grands échecs du renseignement) proviennent de renseignements jugés trop improbables pour être crédibles.
La notion de « signal faible » montre bien effectivement les limites de ce type de cotation. Il s’agit à l’origine d’un terme technique issu du vocabulaire des transmissions militaires, des écoutes ou de la détection (acoustique ou électromagnétique). Son application métaphorique au domaine du renseignement peut éventuellement traduire la difficulté à « capter » un renseignement particulièrement bien camouflé. Son application au domaine de l’information ouverte sur internet ou dans les médias traduit généralement un faible degré de probabilité de l’information qui la rend inaudible et par conséquent très peu relayée.
Cher Monsieur,
Vous avez raison d’indiquer que cette grille a été élaborée par la communauté du renseignement pour protéger l’anonymat des sources, ce qui pose légitimement la question de sa transposition à la gestion de sources ouvertes notamment sur Internet. Je pense pourtant qu’elle n’est pas pour autant dépourvue d’intérêt dans ce contexte, à condition bien sûr d’être complétée par une réflexion sur les conditions de production de l’information (auteur, date, mise en forme…), c’est-à-dire dans le cadre d’une combinatoire de méthodes.
Dans les métiers de l’Intelligence économique et spécifiquement pour l’analyste, la complexité de l’évaluation des sources repose selon moi sur une double contrainte paradoxale. A trop vouloir objectiver les sources, on risque effectivement de laisser passer un « signal faible » et de se retrouver confronté à l’effet de sidération par la survenance de faits « imprévus » (vous le dites fort bien). A ne pas objectiver les sources, on peut se retrouver noyé dans un bruit général ou intoxiqué par des rumeurs. Il convient donc de naviguer prudemment entre ces deux écueils… Merci pour votre contribution. JB