Principe de précaution: servir en se servant ?

Dans un précédent post, nous avons abordé la délicate question de la place des évolutions normatives dans les rapports concurrentiels. Parmi les nouvelles réglementations, certaines s’inspirent du fameux principe de précaution. Elles entendent explicitement nous protéger de certains risques. Mais ces normes nouvelles ne se préoccupent-elles vraiment que de notre seule sécurité physique ou de notre unique bien-être?

Par exemple, la loi obligeant les propriétaires de piscines privées à installer des dispositifs de sécurité (alarmes, couvertures ou barrières) aura demandé plus d’1,8 milliards d’euros d’investissement aux particuliers. Bien sûr, la noyade d’un enfant de moins de six ans est toujours un drame familial et entraine une légitime émotion de l’opinion publique. Il n’empêche que le bilan de cette mesure est pour le moins « controversé ». Sans se livrer à une macabre comptabilité, il convient de noter que 19 enfants de moins de six ans sont décédés par noyade contre 26 enfants l’année précédent l’entrée en vigueur de cette mesure législative. Dans le domaine immobilier, le législateur a empilé depuis plusieurs années des dispositifs de contrôle obligatoire : amiante en 1996, plomb en 1998, termites en 1999, performance énergétique du logement en 2006, conformité des installations électriques et du gaz en 2008. L’ensemble de ces activités de contrôle représente pour les professionnels un Chiffre d’Affaires annuel de près de 800 millions d’euros. De même, la mise aux normes des stations services aura coûté plus de 6 milliards d’euros. Cette mesure a aussi provoqué la fermeture de nombreux stations-service en zone rurale. L’évolution des standards de sécurité dans les stations-service aura permis incidemment de restructurer, de concentrer et finalement « d’écrémer » les circuits de distribution des produits pétroliers.

On peut voir finalement de nombreuses explications dans le renforcement des mesures normatives et le rehaussement des standards. Les spécialistes des politiques publiques pointent la nécessaire prise en compte du principe de précaution comme un nouveau référentiel (afin de prévenir aussi le risque pénal et judiciaire). Les philosophes soulignent l’infantilisation maladive de notre société post-moderne qui cache son malaise derrière la récusation de toutes les peurs.  Les économistes intègrent les dépenses liées à ces mesures, comme une hausse de production de la demande intérieure et donc de la richesse nationale (accroissement du PIB, produit intérieur brut). Pour sa part, le spécialiste d’intelligence économique se méfie toujours de l’air du temps et de évolutions « spontanées ». Il sait que derrière chaque mesure normative, il existe l’action aussi discrète qu’efficace de groupes d’intérêt. Les fabricants de piscine, les spécialistes du contrôle technique ou les distributeurs d’essence ne sont pas a priori des acteurs désintéressés. Et lorsque des mesures normatives entendent renforcer l’intérêt général (mystique à vrai dire étrangère aux lobbies), elles servent parfois aussi des intérêts particuliers collatéraux.  Sans nous adonner à la théorie du complot, force est de constater que les groupes d’intérêt ont appris patiemment à habiller leur communication d’influence. En démocratie pluraliste, les lobbies savent qu’il est possible de co-produire les décisions publiques… ce qui revient parfois à « servir tout en se servant ».

 

 

 

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