En ces temps de crise sanitaire, il n’est sans doute pas inutile de nous réinterroger sur le statut de l’information dite « experte ». En effet, la complexité sociale et la technicisation de nos sociétés ont progressivement élevé les experts au rang de « sachants », leur conférant un statut d’autorité, un prestige social et une capacité à labelliser les décisions publiques. Dans un rapport passionnant de 2019, intitulé « Expertise et démocratie », France-stratégie distingue trois grands types d’expertise. L’expertise de service dont la vocation est de fournir un éclairage direct de la décision, c’est-à-dire réduire l’incertitude des faits (ie. expert judiciaire). L’expertise de consensus qui rassemble des chercheurs, des représentants de l’administration et de la société civile, qui vise à définir des normes techniques, scientifiques ou réglementaires. L’expertise d’engagement, qui pose un avis sous la forme d’un diagnostic afin d’argumenter sur une des options possibles pour résoudre un problème ou répondre à une question qu’il faut trancher. Les décideurs publics et privés ont parfaitement compris l’intérêt qu’ils peuvent tirer d’une coopération étroite avec des experts. Ils les sollicitent donc éclairer leurs choix mais aussi pour légitimer leurs décisions. Le recours aux experts permet d’externaliser la fonction critique du processus décisionnel. Elle se révèle confortable puisque ce qui est tranché par l’expert revêt la force scientifique incontestable du « prêt à l’usage ». Du coup, les pratiques de recours aux experts se sont progressivement généralisées dans tous les secteurs de la société.
Nous sommes aussi passés de la parole rare, celle de l’expert isolé, à la profusion débridée de paroles, celles des experts autoproclamés. Avec les réseaux sociaux, tout le monde peut publier, sur à peu près tout, n’importe quand et n’importe comment… Et chacun revendique à son profit une forme d’expertise nouvelle, celle de la doxa, du sens commun et du docte bon sens… Sur les chaines TV d’information continue une bonne émission doit nécessairement disposer d’un beau plateau d’expert. Du coup, nous assistons à la course effrénée des chasseurs de têtes dans les rédactions. L’expert est celui qui sait parler au grand public. Il est aussi celui que l’on peut mobiliser dans l’urgence de l’actualité. Il faut faire vite. Il faut faire court. Il faut faire simple. Mais alors : « D’où vient que les experts en sachent si peu au final ? ». « Nous disent-ils vraiment la vérité ? ». « Pourquoi se contredisent-ils eux-mêmes ? ». Paradoxalement, loin de nous rassurer collectivement, la concurrence anarchique de points de vue contradictoires, réducteurs ou nivelés par le bas, devient socialement anxiogène. Elle génère de la défiance, du doute et de l’inquiétude. Pour se rassurer, certains finissent alors par verser dans la croyance des fake news et endosser les fausses certitudes du complotisme.