Aprés la guerre économique

Les discours sur l’intelligence économique se sont parfois polarisés sur la notion centrale de « guerre économique ». Il faut dire que, depuis les années 2000, d’éminents auteurs comme Christian Harbulot ont fortement contribué à vulgariser cette notion, recevant un écho favorable dans les médias. Le concept de guerre économique s’est progressivement imposé, en prolongement de théories géoéconomiques selon lesquelles les Etats auraient définitivement délaissé le champs classique des conflits armés et de la puissance militaire, pour se concentrer sur la conquête des marchés internationaux et le soutien aux secteurs de pointe. Pour Christian Harbulot, la guerre économique ne serait finalement que « la poursuite de la guerre par d’autres moyens ». Il faut souligner que l’adhésion à ce nouveau paradigme repose aussi sur un référentiel de valeurs centré sur la logique du patriotisme économique. Avec cette clé de lecture, chaque Etat doit accepter de jouer un rôle de stratège, en définissant un périmètre de souveraineté dans le champ économique, en influençant l’élaboration des normes internationales et en défendant ses propres industries.
Bien sûr, des économistes plus favorables aux vertus du libre échange et à la mondialisation comme Paul Krugman ont aussitôt critiqué la notion de guerre économique, qu’ils jugent à la fois trop « métaphorique » et trop réductrice pour expliquer la complexité des rapports économiques. Ils considèrent qu’on ne peut comprendre l’économie à l’aune d’une grille de lecture reposant sur les seules relations conflictuelles. Car les rapports entre les entreprises et entre les Etats demeurent aussi rythmées par de profonds mouvements de coopération ou de coopétition. Pour les professeurs Franck Bulinge et Nicolas Moinet : « la conception Etat-entreprise-puissance et la métaphore guerre-régiment-soldats montrent rapidement leurs limites face à une réalité moins dictée par la politique des Etats que par la dérégulation économique et financière ». Au final, la clé de lecture de la guerre économique risquerait de passer à côté de deux grandes réalités. D’une part, les relations entre les entreprises et spécifiquement entre les grandes firmes internationales, s’affranchissent largement de la médiation et de la régulation des Etats. D’autre part, les entreprises se laissent guider par des logiques d’intérêts qui les portent autant au conflit qu’à la négociation d’accords commerciaux ou financiers. Dans ce domaine, nous sommes bien loin de l’attachement au drapeau…

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