Web clair-obscur

L’intelligence économique s’intéresse à « la maitrise et la protection des informations stratégiques utiles aux décideurs publics et privés ». En ce sens, la discipline ne peut faire l’impasse d’un détour vers les nouvelles formes de contributions générées par les internautes eux-mêmes, aussi appelés user generated content (contenus générés par les utilisateurs). Au-delà des critiques classiques sur l’horizontalisation, la banalisation et la massification des points de vue, l’écosystème informationnel du web est loin d’être anarchique. Comme le souligne avec pertinence le sociologue Dominique Cardon, nous assistons à l’émergence d’un « web clair-obscur », nouvel espace d’expression de soi. « En réarticulant l’exposition de soi à la conversation quotidienne, le web social a permis de démocratiser l’auto construction narrative , en l’inscrivant dans les pratiques de la vie ordinaire ». Les entreprises ont vite compris le parti qu’elles pouvaient tirer de ces espaces digitaux informels qui relèvent à la fois du café du commerce, du débat intimiste entre amis et des propos dans la rue. Au début, elles tentèrent (souvent assez maladroitement) de réguler verticalement ces échanges. Elles créaient des plateformes d’expression corporate pour leurs clients… espaces souvent boudés par les clients eux-mêmes. Elles animaient activement des blogs, en incluant des logiques de modérations éditoriales jugées autoritaires. Cette période marquée par l’apprivoisement des usages a progressivement laissé la place à une assimilation plus franche des nouveaux usages.

Une fois renoncé à cette volonté illusoire de réguler explicitement les échanges « par le haut », les entreprises ont compris que les nouvelles formes d’influence reposaient essentiellement sur leur capacité à agréger agilement les propos des internautes. Il s’agit alors  de guider discrètement les échanges, de se glisser dans les dynamiques oratoires ou d’orienter allusivement les propos des internautes vers les marques. Cette pratique pointilliste est en rupture complète avec l’idée d’adresser directement un message publicitaire sur une cible commerciale prédéterminée. Sur le web, on doit désormais apprendre à surfer sur chaque vague d’informations, en se positionnant à l’intersection de la vie privée et des échanges sociaux. Dès 1999, bien avant Facebook et twitter, les chercheurs du cluetrain manifesto annonçaient déjà de façon prophétique : « les marchés sont des conversations ».

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