Selon une indiscrétion parue dans La Tribune du 2/3/2009, il y aurait « Une alliance franco-allemande pour contrer la SNCF » sur la délégation de service public des transports en commun (tramway, bus) de la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB). Pour le quotidien économique, c’est un véritable « ticket » à 750 M€ qui serait en construction entre Veolia transport et la Deutsche-Bahn (DB). Ce « ticket » devrait permettre aux deux entreprises de concourir et remporter le nouvel appel d’offre de la CUB sur la gestion des transports en commun qui sera lancé en fin d’année. Même si Francis Grass, directeur général de Veolia transport France s’acharnait ces jours derniers à démentir cette vilaine rumeur d’alliance stratégique avec la Deutsche-Bahn (DB), l’information est pourtant prise au sérieux. Cette nouvelle a d’ailleurs créé quelques émotions dans les services de la CUB, puisque c’est justement après un recours en annulation introduit par la Deutsche-Bahn (DB) que le Tribunal administratif de Bordeaux avait finalement invalidé l’attribution du marché à Keolis (filiale de la SNCF). Le Tribunal administratif avait souscrit aux arguments de Deutsche-Bahn (DB) tendant à démontrer un défaut de publicité concernant le marché de délégation de service public au niveau européen. Au bout du compte, Veolia n’avait dû qu’à ce recours juridique aux effets salvateurs de se voir prolonger d’une année supplémentaire pour la gestion du réseau de transport de la CUB. Au-delà de la concurrence extrême qui fait rage sur le secteur des transports. Cet événement souligne avec quelle prudence il convient de parler de « patriotisme économique ». La circonspection doit être de mise, surtout lorsque l’on approche de grandes entreprises dont les intérêts sont transnationaux et dépassent les clivages strictement liés à l’appartenance nationale.
Cette affaire nous en rappelle une autre intervenue dans un contexte ultra concurrentiel des transports publics. En effet, en 2006, la SNCF avait décidé d’attribuer le marché de construction des nouvelles rames des nouvelles automotrices du Transilien au canadien Bombardier dont l’offre était « mieux disante » de près de 200 M€ par rapport à Alstom. L’attribution de ce marché de plus de 4 milliards d’€ à une entreprise étrangère avait alors fait « grand bruit » dans les médias. La polémique avait enflée et de nombreux commentateurs avaient alors brandi le sabre de l’indignation hexagonale, enfourchant la monture du « patriotisme économique ». Quelques jours après cette attribution de marché, on apprenait qu’Alstom engageait un recours administratif pour faire annuler l’attribution du marché à Bombardier. Nos commentateurs les plus exaltés s’étaient alors installés aux meurtrières du Château fort pour en découdre. Les étendards tricolores flottaient fièrement aux créneaux. On allait enfin en découdre avec « l’étranger du dehors » ! Mais patatras…. Quelques jours plus tard, on apprenait qu’Alstom et Bombardier s’étaient entendus par un accord amiable pour éviter tout conflit judiciaire. Bombardier acceptait finalement de sous-traiter une partie à Alstom, et les deux sociétés pétitionnaient ensemble pour le métro de Genève. Nos guerriers médusés rentraient piteusement dans leurs villages gaulois, la têtes basses et désabusés par un tel appât du gain. Epilogue d’une « guerre économique » dont le sang versé tournait finalement en « eau de boudin » sous la logique de profits apatrides. Depuis, la coopération s’intensifie et le consortium Alstom/Bombardier décroche un marché de 82 millions d’euros pour une commande de 14 rames automotrices électriques TER 2N NG pour la région Pays de Loire, haute Normandie et les chemins de fer luxembourgeois.
Qu’on nous comprenne bien, cela ne veut pas dire que la clef de lecture de la « guerre économique » soit totalement inopérante. Elle peut éclairer certaines décisions stratégiques, notamment lorsque celles-ci interviennent dans des secteurs où le poid du régalien se fait sentir (énergie, industrie aéronautique, armement, technologies sensibles…). Simplement, l’actualité nous rappelle que la clef de lecture purement « nationale » n’est pas simple à manier dès lors que l’on parle d’enjeux financiers et de grandes entreprises. Elle nous rappelle aussi qu’en la matière, il faut se méfier de toute forme de manichéisme. Une alliance avec un concurrent, fut-il étranger, pour se partager un marché, est toujours plus profitable qu’une guerre commerciale se terminant par extermination mutuelle. En son temps la théorie des jeux avec déjà formalisé les jeux « gagnant-gagnant ». La « coopétition » traduit bien ce mouvement. Le concept de « coopétition » permet de montrer l’agilité pragmatique avec laquelle les firmes passent, selon les séquences du marché, d’une posture de « compétition » à des positions de « coopérations ».
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