« Blogosphère: une communauté de savoir » Interview de Bérengère STASSIN 2/2

cepadues_1563Pour faire suite à notre interview (première partie publiée hier) nous avons le plaisir de d’interroger Bérengère STASSIN sur ses recherches scientifiques et son actualité éditoriale.

Jacques BREILLAT: « S’agit-il vraiment d’une médiation du savoir où d’une vulgarisation des connaissances? »

Bérengère STASSIN: « Comme le laisse entendre le titre que j’ai donné à l’ouvrage, il s’agit d’une mosaïque de médiations construite par un réseau de blogueurs experts qui forment une communauté de savoir. À l’intérieur de ce réseau sont diffusées et « mises en texte » des connaissances explicites, mais sont également « explicitées » des connaissances tacites. Les connaissances explicites (ou savoirs théoriques) sont diffusées dans les billets que j’ai qualifiés de « billets de synthèse » ou d’ « exposés de mise au point » sur une notion, un concept, une théorie. Les connaissances tacites, qui relèvent plutôt des savoir-faire, sont quant à elles formalisées par l’écriture, par la rédaction de « comptes rendus » d’expérience, d’expérimentation ou encore de résolution de problème. Une forme de médiation des savoirs théoriques et des savoir-faire est donc exercée. Concernant la vulgarisation des connaissances, certains blogueurs m’ont confié avoir le souci de rendre leur blog accessible au grand public. L’analyse de leurs billets n’a cependant pas révélé que la vulgarisation était au cœur de leur projet communicationnel. De plus, je n’ai pas fait d’étude de réception des blogs étudiés, mais de ce que j’ai pu observer, les lecteurs des blogs info-doc appartiennent essentiellement au monde de l’info-doc. Ça ne veut pas dire que des experts d’autres domaines et que le grand public n’en sont pas parties prenantes, mais en tout cas ils ne sont pas majoritaires. Enfin, l’étude a également révélé une forte activité de veille et de curation de contenu aboutissant à différentes formes d’éditorialisation, à différentes formes de médiations documentaires que certains auteurs qualifieraient de « redocumentarisations ».

Jacques BREILLAT: « Le blog a-t-il encore un avenir ? » 
Bérengére STASSIN: « Pour placer la focale sur le blog scientifique, je pense qu’il a actuellement le vent en poupe, ce que démontre très bien l’activité des « carnetiers » sur Hypothèses. Les blogs ont su se faire une place dans la littérature scientifique, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’image négative dont ils ont longtemps pâti a fini par s’estomper. Leurs détracteurs ont pris le temps de les lire et se sont rendu compte qu’il s’agissait de productions sérieuses (perfectibles, discutables, mais sérieuses), conclusions également tirées par les travaux académiques (dont les miens) les ayant pris pour objet d’étude. Ensuite, la multiplication de l’offre en termes de médias sociaux a fait que les blogueurs ont progressivement déplacé certaines de leurs activités sur d’autres supports (par exemple la veille et le signalement de contenu sur Twitter) recentrant ainsi leur blog sur la réflexion. Enfin, parce que le temps a montré que le billet de blog et sa validation a posteriori par les commentaires des lecteurs n’avaient pas vocation à se substituer à l’article scientifique et à sa validation a priori par les pairs (tout comme la Wikipédia ne s’est pas substituée à la Britannica). Ce sont deux formes distinctes, chacune a une place et un rôle qui lui sont propres, et tout le monde l’a bien compris. Je ne pense pas que les chercheurs-blogueurs soient majoritairement disposés à « ne plus jamais publier dans les revues scientifiques », comme l’est Olivier Ertzscheid, mais je pense qu’ils sont nombreux à voir, comme lui, en le blog un moyen pertinent de détourner les contraintes temporelles et financières desdites revues, de valoriser en quasi temps réel leur réflexion et les avancées de leurs travaux, et de se positionner sur un domaine d’expertise. C’est d’ailleurs pour ces raisons que ma collègue Leticia Andlauer a ouvert Pensées et Otome en septembre dernier et pour ces raisons que je suis moi-même en train d’ouvrir Cyberviolence et Cyberharcèlement sur Hypothèses. La décennie qui vient de s’écouler a donc ouvert une voie que nous sommes désormais nombreux à emprunter : chercheurs, doctorants, institutions, équipes de recherche ou encore laboratoires. Je répondrais donc à votre question par l’affirmative. Oui, le blog a encore un avenir. »

Jacques BREILLAT « Quelles seront les grandes mutations en matière de médiations documentaires dans les années qui viennent ? »
Bérengère STASSIN: C’est une vaste question à laquelle il serait difficile de répondre en quelques mots. Mais je vais vous donner un exemple de médiation documentaire numérique en lien avec les blogs, pour rester sur cette thématique, qui gagnerait à être développée dans les bibliothèques et les centres de documentation et d’information du secondaire. J’ai passé des années à explorer la blogosphère et j’ai identifié de nombreux blogs, actifs ou basculés en mode archive, tenus par des experts ou par des amateurs ayant développé une véritable expertise, qui me semblent avoir toute leur place dans un fonds documentaire, et ce, dans des domaines aussi variés que les sciences humaines et sociale, la veille et l’intelligence économique, la bibliothéconomie, les sciences dures, le marketing, la gastronomie, la littérature, la musique, le cinéma ou encore les jeux vidéo. Je pense qu’il y a un véritable travail d’identification et de validation de ces blogs à réaliser, indépendamment de la place qu’ils occupent dans les classements de type Teads, pour éviter qu’ils ne se perdent dans les méandres du Web ou que les connaissances dont ils se font les supports se dispersent voire s’évaporent. On a quand même aujourd’hui à notre disposition des outils et des théories qui permettent de vérifier si les contenus publiés dans un blog ou dans un wiki, ou bien signalés par un compte Twitter ou Facebook, sont des contenus fiables, issus de sources fiables. Je me souviens d’un échange que j’avais eu, au cours de ma thèse, avec Silvère Mercier (Bibliobsession) où il m’expliquait justement cela, qu’un bibliothécaire ou un documentaliste devrait être aujourd’hui en mesure de fournir à un usager s’intéressant à l’œnologie ou à une technique particulière de tricot certes deux livres et trois revues sur la question, mais également deux blogs et trois comptes Twitter. Aider les usagers à réaliser une veille sur Twitter, à identifier les comptes susceptibles de répondre au mieux à leurs besoins informationnels est aussi, je pense, un nouveau service de médiation documentaire à offrir. Je sais que sur le terrain certains professionnels le proposent déjà, mais je ne pense pas que ce soit systématisé à chaque bibliothèque ou à chaque centre de documentation. Et pour conclure, je dirais qu’au sein du CDI de chaque établissement scolaire, les exemples que j’ai cités sont certes des enjeux en termes de médiation documentaire, mais ils sont également des enjeux en termes d’éducation, d’éducation aux médias et à l’information. »

 

Bérengère Stassin est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine et membre du Centre de recherche sur les médiations (CREM). Ses travaux académiques portent sur les communautés de savoir en ligne ainsi que sur l’identité numérique et l’e-réputation des marques et des individus. Elle commence également une nouvelle recherche sur les phénomènes de violence et de harcèlement en ligne et sur les discours sociaux qui les entourent.

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