Quel est le rapport entre la tempête médiatique déclenchée par les grossièretés lancées par Nicolas Anelka à l’encontre du sélectionneur national et l’affaire Bettencourt ? Apparemment aucun. Sauf qu’à y regarder de plus près, on peut se questionner sur le statut de l’information privée dans notre pays. Dans le dossier Anelka, un joueur de football professionnel perd les pédales à la mi-temps d’un match capital et s’en prend à son coach dans des termes peu amènes. Il s’exprime dans l’intimité d’un vestiaire de football dont a priori rien n’aurait dû filtrer vers l’extérieur. Dans le dossier Bettencourt, la plus grande fortune de France se retrouve “piégée” par son majordome, qui enregistre les discussions avec ses conseillers financiers, son notaire et ses avocats, et par son ex-comptable qui préfère divulger des informations – vraies ou fausses ? – aux médias plutôt qu’aux enquêteurs, accusant également le Chef de l’Etat. Au résultat cela ne produit pas moins de 28 CD d’enregistrement de conversations captées illégalement. Mieux, ces enregistrements “pirates” seront dévoilés on line par Médiapart sur son site Internet, et retranscrits largement dans un cahier spécial du Point. Les médias s’en emparent librement avec la bénédiction de l’autorité judiciaire qui considère que les révélations de Médiapart relèvent « de la publication d’informations légitimes et intéressant l’intérêt général » et que demander leur retrait « reviendrait à exercer une censure contraire à l’intérêt public ».
Dans les deux cas, la façon dont l’information a été acquise est disons… “discutable” : exploitation d’une indiscrétion d’un côté, et piratage de conversations personnelles de l’autre… Dans les deux cas, le succès des sources bénéficie d’une résonnance énorme, en raison d’un environnement préexistant pour le moins “délétère”. D’un côté, nous avons une équipe nationale de football qui sombre dans les affres de la contre-performance sur le terrain en pratiquant la méthode Coué (du style « tout va bien madame la Marquise »), accompagnée par l’autisme de la Fédération Française de Football et la communication totalement décalée du sélectionneur. C’est le syndrome du Titanic, le paquebot coule mais on joue de la musique sur le pont supérieur. De l’autre côté, nous avons un majordome et une comptable peu scrupuleux qui piègent une octogénaire milliardaire sur fond de procès pour « abus de faiblesse » mené par sa propre fille. C’est un Agatha Christie de vaudeville… Ces environnements conflictuels, dégradés et scabreux constituent un véritable “appel d’air”. Ils permettent d’aspirer et de diffuser des informations acquises dans des conditions douteuses sur le plan éthique ou même légal.
On nous objectera que le principe de transparence démocratique justifie à lui seul et légitime la diffusion médiatique des informations, quelles que soient les méthodes offensives de collecte. On arguera du fait que les journalistes ne font que leur travail en dévoilant les matériaux en leur possession. Finalement, la vertu de la Vérité pourrait s’accommoder et se nourrir de méthodes d’acquisition inacceptables sur le plan moral. Il n’en demeure pas moins que ces affaires pourraient aussi nous laisser un sentiment de malaise.
En effet, la diffusion de ces informations n’est pas totalement désintéressée, servant une politique du chiffre par ses retombées commerciales. La religion de la transparence est aussi celle du Veau d’or. Elle fait vendre du papier, surtout lorsqu’elle s’inscrit dans ce mouvement de fond du voyeurisme social. Le footballeur friqué et mal dégrossi issu des banlieues devient la victime d’un hypothétique traître… La vieille dame en perdition comme étouffée sous le poids de sa richesse et qui claque sa fortune au profit d’un ami photographe sous le regard réprobateur de sa fille… Tous les ingrédients de la tragédie people sont présents. Diffusion de conversations privées, violation du secret de l’avocat, recours aux méthodes offensives du micro clandestin, taupe, corruption politique… On est tout de même assez loin de l’éthique enseignée aux praticiens de l’Intelligence économique qui prohibe le recours aux méthodes illégales de collecte. A moins que ce Lilianelka ne soit que l’hydre du principe de transparence, repoussant toujours plus loin les frontières de l’intimité, dévorant la privacy et se nourrissant de nos secrets les plus intimes…
Article intéressant… Une petite question cependant : cette façon discutable de « collecter » et diffuser l’information ne risque-t-elle pas de se systématiser, puisqu’aucune critique ne semble formulée vis-à-vis de telles méthodes ? Enregistrer ou divulguer des conversations privées et s’en servir dans un procès deviendrait de ce fait tout à fait légitime et légal – à moins que ce ne soit déjà le cas ?