La démarche d’intelligence économique fonde sa plus value sur la capacité des acteurs à articuler la veille stratégique avec la prise de décision. Il s’agit, à partir d’une démarche itérative et continue d’apporter aux décideurs publics et privés, la « bonne information au bon moment ». La clé de lecture de l’intelligence économique est donc largement dominée par le paradigme de la rationalité décisionnelle. Elle repose sur la croyance selon laquelle « plus je suis informé » et « mieux je suis informé », plus ma prise de décision sera optimale. Il y aurait donc une sorte de corrélation mécanique, induite entre le volume d’information traitée dans la séquence décisionnelle et la qualité de la décision finale.
En y regardant de plus prés, cette idée peut s’avérer erronée, voire dangereuse. Elle peut provoquer une confusion entre les moyens de collecte et la finalité stratégique. Ce n’est pas parce que je suis bien informé au bon moment que je vais fatalement prendre la bonne décision. Chaque acteur « en situation » est soumis aux influences systémiques, aux distorsions cognitives et aux enjeux de l’organisation au sein de laquelle il évolue.
Les travaux d’Herbert A.Simon ont montré que face à une situation complexe, la prise décision s’arrête parfois sur l’option qui satisfait la situation concrète en évitant la sur-consommation de temps (le fameux effet « Tetris »). La rationalité des décisions (c’est à dire leur adéquation au but) est ainsi « limitée » pour trois raisons majeures. Premièrement, l’environnement est trop complexe pour être appréhendé dans sa totalité. Deuxièmement, la connaissance des conséquences de la décision est par définition toujours fragmentaire. Troisièmement, il est courant en pratique de n’examiner qu’un nombre restreint de choix possibles. A contrario, un chercheur comme Robert Jervis a bien démontré dans le domaine des relations internationales que, même avec un calcul parfaitement rationnel de type « théorie des jeux » (en écartant donc les difficultés de la rationalité limitée) l’attaque des japonais contre la flotte américaine à Pearl Harbor en 1941 aurait eu lieu.
L’ensemble de ces éléments nous rappellent que la prise de décision stratégique, même lorsqu’elle est confortée par le cycle de l’information n’est pas une science exacte. Sur le plan professionnel, les spécialistes d’intelligence économique et les experts du renseignement doivent donc faire preuve d’humilité. Finalement ce questionnement n’est pas nouveau dans ses prolongements philosophique. Platon considérait en son temps l’intuition comme la plus haute forme de la connaissance et la saisie immédiate de la vérité de l’idée par l’âme. De nombreux entrepreneurs ont aussi construit des succès en s’engageant sur des chemins non balisés, sans aucune étude de marché préalable… Simplement par croyance ou attachement à une idée consacrée par le marché et devenue ainsi un véritable business model.